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Des aspects juridiques de l’intimidation des enseignant-e-s par leurs élèves

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En 2008, l’Enquête nationale sur les enjeux liés à l’éducation [« l’Enquête »], commandée par la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants, a publié un rapport au sujet du savoir grandissant des Canadiennes et des Canadiens des enjeux liés à la cyberintimidation en milieu scolaire.[1] Voici certains des résultats de l’Enquête qui sont d’intérêt particulier :

  • 9 Canadiennes et Canadiens sur 10 sont d’avis qu’une façon efficace de prévenir la cyberintimidation entre élèves se trouve dans une plus grande connaissance et une plus forte responsabilisation des parents quant au suivi des activités de leur enfant en ligne et de l’utilisation qu’il ou elle fait de divers appareils numériques

  • 34% des Canadiennes et des Canadiens connaissent des élèves de leur communauté qui ont été victimes de cyberintimidation durant l’année scolaire 2007-08[2]

  • Plus étonnant encore, un-e participant-e à l’étude sur cinq connaît un-e enseignant-e qui s’est fait intimider en ligne par ses élèves durant la même année – une donnée qui révèle le fait que l’intimidation électronique entre élèves n’est pas la seule forme de cyberintimidation démontrée factuellement[3]

L’intimidation antiautoritaire a beaucoup moins attiré l’attention médiatique et universitaire depuis l’arrivée de la cyberintimidation comme nouvel enjeu d’importance sur la place publique.[4] Même si l’enjeu est peu étudié d’un point de vue théorique, il n’en demeure pas moins que la cyberintimidation des enseignant-e-s par les élèves est tout autant insidieuse en soi que l’intimidation d’élève à élève. En effet, la cyberintimidation antiautoritaire peut elle aussi se produire « chaque jour, à n’importe quelle heure et peut être distribuée à un auditoire infini – le tout à moindre coût et avec de plus grandes possibilités pour un esprit créatif, dans le confort et la sécurité de son domicile et loin de la direction de l’école qui devient le pouvoir de sévir ».[5] Cependant, parler d’intimidation des enseignant-e-s par leurs élèves impliquent de prendre en considération des aspects légaux tout à fait différents.

Particulièrement, le personnel d’un établissement d’enseignement est confronté à trois défis juridiques lorsque sévissent des cas de cyberintimidation d’enseignant-e-s par leurs élèves :

  • Le devoir de maintenir l’ordre et la discipline dans les écoles
  • Le devoir de respecter la liberté d’expression des élèves
  • Le devoir de démontrer un lien suffisant entre le comportement inadéquat et l’école[6]

1.Le devoir de maintenir l’ordre et la discipline dans les écoles

Le devoir de maintenir l’ordre et la discipline dans les écoles fait référence à l’obligation légale des directions et du personnel enseignant de protéger « l’environnement d’apprentissage scolaire du danger et de la perturbation, ainsi que de promouvoir des interactions saines entre les membres de la communauté scolaire ».[7] Par exemple, l’article 265(1)(a) de la Loi sur l’éducation de l’Ontario, les directions d’écoles ont l’obligation de « maintenir le bon ordre et la discipline dans l’école ».[8] Il ne fait aucun doute que cette disposition doit être considérée lorsque les élèves véhiculent des messages haineux en ligne au sujet des capacités d’enseignement leurs instructeurs et instructrices. Si l’autorité d’un enseignant-e est minée à cause de propos en ligne, cela peut percoler dans la salle de classe et poser des problèmes à l’ordre et à la discipline qui doivent régner selon l’article 265(1)(a).

2. Le devoir de respecter la liberté d’expression des élèves

Le devoir de respecter la liberté d’expression des élèves fait référence au devoir des enseignant-e-s et du personnel administratif d’un établissement d’enseignement de respecter le droit constitutionnel des élèves qui est protégé par l’article 2(b) de la Charte canadienne des droits et libertés [« Charter »]. Précisément, l’article 2(b) garantie aux élèves (et à tout autre Canadienne et Canadien) la « liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication ».[9] De façon générale, toute forme de communication dont le message est non violent est protégée par la Charte.[10] Cela étant dit, la professeure Shariff a soutenu que, malgré le fait que des menaces en ligne ne soient pas de la violence physique, les personnes qui en sont la cible les perçoivent tout de même comme étant une vraie forme d’expression violente.[11] De plus, la liberté d’expression n’est pas un droit absolu. En fait, l’article 1 de la Charte affirme que la liberté d’expression peut faire face à « des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ».[12] Par conséquent, les enseignant-e-s qui sont victimes de cyberintimidation de la part de leurs élèves peuvent légalement contester le droit d’un élève à la liberté d’expression si leur démarche vise à promouvoir des valeurs en accord avec une société libre et démocratique.[13]

3. Le devoir de démontrer un lien suffisant entre le comportement inadéquat et l’école

Le devoir de démontrer un lien suffisant entre le comportement inadéquat et l’école fait référence à une jurisprudence canadienne assez récente dans laquelle les tribunaux ont rendu des jugements stipulant que les établissements d’enseignement peuvent réprimander leurs élèves pour un comportement à l’extérieur de l’enceinte de l’établissement uniquement lorsque celui-ci a un lien suffisant avec l’environnement scolaire.[14] En d’autres mots, si un-e élève utilise Internet pour publier un message diffamatoire ou harcelant au sujet d’un-e enseignant-e à l’extérieur de l’enceinte de l’établissement, l’école aurait alors le fardeau de démontrer que ce comportement est suffisamment lié à l’environnement scolaire et justifie ainsi une réprimande disciplinaire.[15]

En bref, l’exposé ci-dessus nous mène à encourager nos lecteurs, chez Définir la frontière, à avoir des conversations franches et ouvertes avec leurs enfants quant aux possibles recours et conséquences juridiques qui peuvent découler autant de la cyberintimidation entre élèves que de celle faite par les élèves envers leurs enseignant-e-s. En effet, pour devenir un bon citoyen numérique il faut nécessairement respecter les droits et les obligations autant de nos paires que de ceux et celles qui sont en position d’autorité envers nous.

Si vous êtes intéressé-e à en savoir davantage au sujet de l’intimidation des enseignant-e-s par leurs élèves, veuillez consulter les articles de la professeure Shariff qui suivent : « Cyber-dilemmas in the New Millennium: School Obligations to Provide Student Safety in a Virtual School Environment » (2005) 40 McGill Journal of Education 467, ainsi que Cyber-bullying: Issues and Solutions for the School, Classroom and the Home (Londres : Routledge, 2008).

Traduit de l’anglais par Yanick Touchette.


[1] Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants, « Cyber-bullying in schools: National poll shows Canadians’ growing awareness » (11 juillet 2008), en ligne: http://www.ctf-fce.ca/Newsroom/news.aspx?NewsID=-873341035.

[2] Ibid.

[3] Ruth Broster et Ken Brien, « Cyber-bullying of Educators by Students: Evolving Legal and Policy Developments » (2010) 20 Educ. & L. J. 35, p.41 [Broster & Brien].

[4] Ibid p. 35.

[5] Ibid.

[6] Broster et Brien, note 3 précitée, p. 44.

[7] Ibid p. 42.

[8] Loi sur l’éducation, R.S.O. 1990, c. E.2.

[9] Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, éditée comme l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. (R.-U.)(U.K.) [Chartre].

[10] A. Wayne MacKay et Janet Burt-Gerrans, « Student Freedom of Expression: Violent Content and the Safe School Balance » (2005) 40 McGill Journal of Education 423.

[11] Shaheen Shariff, « Cyber-dilemmas in the New Millennium: School Obligations to Provide Student Safety in a Virtual School Environment » (2005) 40 McGill Journal of Education 467.

[12] Chartre, note 8 précitée, art.1.

[13] Broster et Brien, note 3 précitée, p.44.

[14] Eric M. Roher, « Confronting Facebook, YouTube, and MySpace: Cyber-bullying in Schools » (novembre/décembre 2007) CTF Economic & Member Services, en ligne: http://www.ctf-fce.ca/Documents/Priorities/EN/cyberbullying/CyberFacebook.pdf, p. 22.

[15] Broster et Brien, note 3 précitée, p. 44.

Catégories : Cyberintimidation des enseignants, Éducation
Tags : Liberté d’expression, Environnement scolaire, Enseignants


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